Poème Suivant >> Poème publié et mis à jour le: 14 novembre 2012. Entre Marot et l’épître, c’est bien un rapport d’attraction et d’influence réciproques qui semble se dessiner : si le rôle du poète dans l’affirmation du genre paraît indiscutable, l’analogie mise en place entre le dévoilement du « je » et la lecture de la lettre nous signale également que l’épître constitue un cadre idéal à l’affirmation d’une voix poétique dont la présence se fait sentir malgré la distance de l’écriture, et d’une figure auctoriale qui s’offre volontiers au regard, pour peu toutefois qu’on se donne la peine d’ouvrir le pli. James J. Murphy. Enfin, la prétérition anaphorique qui inaugure l’épître « À son ami Lyon » figurerait un mécanisme libérateur affranchissant le discours poétique de la « prison formelle » dans laquelle la tradition le maintenait jusqu’alors22. L’adaptation de cette pratique codifiée à un contexte poétique n’est pas sans conséquence : en étant intégrée au titre, la salutation se transforme en annonce métatextuelle, soulignant la spécificité générique de l’épître, qui se fonde en premier lieu sur l’adresse à un interlocuteur absent. C’est là une nouvelle fonction de l’équivoque, au second degré, distanciée de l’ornement laudatif ou sublimant8. Malgré la sophistication de la rime, on observe d’ailleurs plusieurs marqueurs propres au style conversationnel : parenthèses produisant un décrochage énonciatif (« (dont je suis marri) », v. 8), dialogue au style direct, adresse à l’interlocuteur (« Viens çà » v. 10, « vois-tu bien », v. 13) et, dès le troisième vers du poème, un connecteur résomptif (« Bref, c’est pitié ») sapant la tension propre à la contentio. 28 Érasme définit la lettre par une souplesse fondamentale, laquelle autorise toutes les variétés de style et trouve à s’incarner particulièrement dans le genre familier. 29Il semblerait en effet que ce soit via le jeu spéculaire de la fabula que le « je » marotique se donne à voir le plus ouvertement. Francis Goyet, Paris, Livre de Poche, 1990, p. 124). « Rhétorique de l’épître marotique. Un réseau d’équivoques gaillardes décline les thèmes de la fruition et de la fertilité, de l’impuissance et de la stérilité, non sans rapport avec l’humilité comme thème poétique. Son père, grand poète rhétoriqueur, avait été le protégé d'Anne de Bretagne, femme de Louis XII. Mais au lieu d’exclamations piteuses, de supplications ou de lamentations, des distorsions logiques, des leurres ludiques et des tautologies se croisent pour formuler cette complainte allégée. Cf. De nombreux indices signalent enfin qu’en fait de supplique destinée à prouver l’innocence du poète, l’épître à Bouchart maintient ironiquement ses positions hétérodoxes. 22 « Tout en ayant l’air d’utiliser un langage presque populaire, il diffère radicalement du populaire », disait Denys d’Halicarnasse de Lysias, modèle du style mince ou iskhnos (Denys d’Halicarnasse, Les Orateurs antiques, cité par J. Lecointe, L’Idéal et la différence : la perception de la personnalité littéraire à la Renaissance, Genève, Droz, 1993, p. 395) ; ceci distingue l’orateur mince des sophistes qui paraissent habiles sans l’être. A Monsieur de la Rocque, et Epistre faite pour le Capitaine Raisin, audict Seigneur de la Rocque, dans Id., œuvres poétiques, éd. Un paradoxe donne le ton, et identifie le style bas marotique : « À vous me plaings par cet escript legier » (v. 88)11 ; ainsi Bourgeon sollicite-t-il un cheval dans la première épître. Biographie de Clément Marot Biographie de Clément Marot (1496-1544) Poète huguenot français. Ces requêtes de « Bourgeon » et « Raisin », à lire en diptyque, traitent d’humeurs Œuvres poétiques complètes, Éd. 6 L’épître Au Roy dite pour avoir esté desrobé déploie la même prouesse dans l’équivoque remotivée, et ce dans un contexte épistolaire pareillement associé à la familiarité et à la bouffonnerie gasconne. 22 Nous reprenons ici l’analyse stylistique et poétique développée par Gérard Defaux dans Marot, Rabelais, Montaigne, p. 61-72. Entre le poète et son genre de prédilection s’établit ainsi une affinité ontologique, tous deux se dérobant en effet sous le jeu de la fiction en même temps qu’ils se donnent par le moyen de la familiarité. Lake Prescott, « The Wrath of Priapus : Remy Belleau’s “Jean qui ne peult” and its Traditions », dans Comparative Literature Studies, vol. L’épître « touchant l’armée du roi en Hainaut » clôt de plus l’ensemble disparate formé par les quatre premières épîtres de la section, qui s’achève ensuite sur des poèmes décasyllabiques à rimes suivies. Recueil poétique de Clément Marot (1496-1544), publié dans les Œuvres de Clément Marot à Lyon chez Étienne Dolet en 1538. 5Cette inclination n’est pas passée inaperçue, loin s’en faut. Après l’épître de Maguelonne, celle du « Dépourvu » utilise en effet la fiction allégorique pour évoquer l’actualité vécue par le poète : le dieu Mercure facilitant l’introduction de Marot auprès de sa future protectrice ne serait autre que François Ier ; quant au Bon Vieillard encourageant le poète à poursuivre son œuvre, il s’agirait de Jean Marot, auquel son fils espère succéder à la cour30. Paris : Classiques Garnier, 2014. À ce sujet, voir Judith Rice‑Henderson, « Erasmus on the Art of Letter-Writing » et « Defining the genre of the letter, J.-L. Vives’ De conscribendis epistolis » ; voir également Luc Vaillancourt, La lettre familière au XVIe siècle, p. 155-168. aussi les soldats à dos de mule du rondeau XXXIII. ), Clément Marot, « Prince des Poëte… Éd. Clement Marot (1496-1544) fut vraiment, en un sens, le premier des poetes francais, rompant avec le style artificiel, convenu et pesant des "Rhetoriqueurs". C’est pourquoi ceux qui l’entendent, si incapables qu’ils soient eux-mêmes de parler [infantes], se figurent néanmoins qu’ils peuvent le faire de cette façon-là. 19 Si la chronologie semble être un des critères d’agencement des épîtres marotiques, d’autres principes d’organisation moins immédiatement évidents viennent compléter ce classement général. Comme le titre complet l’indique, ce diptyque a pour destinataire inscrit le « Seigneur de la Rocque », écuyer du roi selon la première épître, choix qui s’impose en tout decorum littéral, puisque la requête concerne une demande de monture. Dans ce cadre fondant la dignité du genre qu’il s’est choisi pour étendard, Marot procède à la transformation du modèle dont il hérite : s’appuyant sur les principes épistolographiques défendus par les humanistes, le poète impose au discours épistolaire un dispositif textuel simplifié, une familiarité de ton transcendant les différences sociales, un style simple et une grande souplesse dans le maniement des thèmes traités. Pauline Dorio, « Les épîtres de L’Adolescence clémentine : le parti-pris du familier », Babel [En ligne], Hors-série Agrégation | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2019, consulté le 10 février 2021. G. Morel, Paris, Macula, 1997, p. 72-79 en particulier. Ces marqueurs pathétiques et réflexifs signalent la manipulation du code de la plainte. 3 En 1532, Clément Marot est ainsi le premier poète de langue française à faire le choix de rassembler des épîtres majoritairement personnelles dans une section entièrement dédiée au genre épistolaire. Marot, Clément (1496-1544) > Les épîtres. Clément vante à bon droit cet émondage productif dans l’épître À un sien amy : De l’entre-deux seroit tousjours content.Car cestuy là qui hault ne bas ne volleVa seurement, & jamais ne s’affolle.34. Fait remarquable, c’est dans un contexte d’hétérogénéité énonciative que Marot choisit d’éclairer les dessous de son inclination pour le genre épistolaire. Novateur, insolent, brillant, Clément Marot Ainsi que le faisait le grand Clément Marot, Adressant épîtres, ballades et rondeaux Aux plus grands des seigneurs, sans oublier le roi, J'emploie aujourd'hui ma plume — qui n'est pas d'oie, À réveiller ce genre autrefois fanfaron Pour te dédier, ô gagnant de l'EuroMillions, Ces … Loin d’être réservé à la conclusio, qui permet normalement de formuler des vœux à l’égard du destinataire, cet espoir est décliné dans toutes les parties de l’épître : l’exordium souligne l’amour indéfectible que les amis portent à la dame, et qu’ils promettent de lui porter jusqu’à son retour, dût-elle s’absenter quarante ans. Éd. M. Patillon, Paris, L’Âge d’homme, 1997, p. 473 sq. Premier poète à rassembler des épîtres non-héroïdes en série, Marot unifie le genre en le dotant de repères péritextuels stables. Il n’est guère que la versification qui donne à voir une certaine régularité, puisque la plupart des poèmes sont bâtis sur l’enchaînement régulier de décasyllabes à rimes plates : encore devons-nous exclure ici les rondeaux et les ballades des deux premiers poèmes ainsi que l’épître en prose « touchant l’armée du roi en Hainaut », véritable hapax dans l’ensemble des œuvres publiées par Marot. Les quinze premiers vers du texte passent en revue, pour mieux les rejeter, des thèmes poétiques traditionnels : l’amour, la guerre, Dieu, les abus du monde : Je ne t’écris de l’amour vaine, et folle :Tu vois assez, s’elle sert, ou affole :Je ne t’écris ne d’armes, ne de guerre,Tu vois, qui peut bien, ou mal y acquerre :Je ne t’écris de fortune puissante,Tu vois assez, s’elle est ferme, ou glissante :Je ne t’écris d’abus trop abusant,Tu en sais prou, et si n’en vas usant :Je ne t’écris de Dieu, ne sa puissance,C’est à lui seul t’en donner connaissance :Je ne t’écris des dames de Paris,Tu en sais plus que leurs propres maris :Je ne t’écris, qui est rude, ou affable,Mais je te veux dire une belle fable :C’est à savoir du Lion, et du Rat.25. Dans la « Petite épître au Roi », Marot feint d’adopter la posture d’un poète de cour payant son protecteur de mots, pour mieux la détruire de l’intérieur et faire éclater son audace sociale et formelle32. Or susciter le plaisir risque de mieux payer que de susciter l’ennui. In 1514 Marot became Cela ne signifie pas que le poète n’ait pas procédé à quelques remaniements visant à créer une impression de progrès, à mettre en scène l’évolution de sa pratique épistolaire au cours de la décennie précédant la première publication de L’Adolescence clémentine. Marot se rapproche là de la fonction de logographe ou d’acteur au sens des Rhétoriqueurs, fonction dans laquelle se distinguent l’autorité-source, l’ethos de l’auteur et la persona du scripteur (deux « capitaines » en l’occurrence). L’autre niveau de lecture dont nous parlons ressort d’un réseau d’équivoques à mettre en relation avec le style de la littérature dite bourgeoise du Moyen Âge, indissolublement comique et morale17. Il fut un des premiers grands poètes classiques français et le protégé de Marguerite de Navarre, sour du roi de France François Ier. Ce truisme, à savoir que le Bourgeon sans monture devra partir à « pied » ou rester (« demeure[r] »), réfère en même temps par jeu de mots à la jeune pousse, qui vient « à pied » (grandit, devient pied de vigne, autrement dit) ou bien « demeure », c’est-à-dire reste telle quelle ou bien dé-mûrit c’est-à-dire pourrit20, issue probable en l’absence de « monture », de tuteur qui aide à faire monter la vigne. Une observation attentive des onze épîtres de L’Adolescence clémentine nous apprend que Marot fait non seulement usage de cette division en cinq parties, mais encore qu’il l’adapte avec finesse en fonction du résultat désiré14. Le plus souvent, le poète y apostrophe directement sa lettre, soit pour l’enjoindre de se rendre au plus vite à l’endroit qu’il lui a désigné, soit pour la rassurer quant à l’accueil que lui réservera le destinataire.